Mon travail
L’histoire
Ma passion pour le dessin remonte à mon enfance. Passion qui m’enferme dans une bulle protectrice hors du temps. A l’école primaire puis au collège, peu attentive à l’enseignement général, je ne m’éveillais que pour le cours de dessin. Mes parents ouverts et sensibles à l’art, comprirent qu’il fallait m’orienter vers cette voie. Le lycée de dessin Maximilien Vox à Paris, cadre d’une formation classique qui enseigne les bases du dessin et de la peinture à un âge où l’on est encore malléable, a été ma bouée de sauvetage. L’Université Paris VII me fait grandir et m’ouvrir à d’autres techniques : la gravure, le cinéma expérimental, l’expression corporelle, le théâtre et la danse.
Textures et papier
A l’Ecole des Beaux Arts, mon travail avec le papier commence à prendre forme. Je photographie en noir et blanc les matières : reflet de feuillage dans l’eau, lumière rasante sur rochers déchiquetés, peintures usées de vieux murs, traces dans le sable….Ces photos passées à la photocopieuse rudimentaire à cette époque, deviennent graphismes et textures sur papier.
Vient ensuite le temps de la matière « écriture ». Je photocopie des textes en les superposant à différentes échelles, les passages multiples provoquant divers degrés d’usure. L’écriture, ou tout du moins, l’effet d’écriture donné par ces superpositions de typographies, évoque une connaissance non identifiée, difficile à décrypter au premier degré, qui demande un code, une initiation : la mémoire du corps féminin.
Prennent forme
Que deviennent ces papiers-matières ?
Au départ, je les suspends, j’en couvre les murs, les espaces. A la suite de stages de formation et de ma rencontre avec Aline Ribière, plasticienne du vêtement de l’imaginaire, ces papiers-matières prendront forme de vêtements.
Robes spectaculaires et visuelles avec leurs graphismes, elles sont assez proches du livre. J’aurai l’occasion de les porter et de les montrer dans des performances, dans des endroits très spécifiques où le papier, l’écriture ou bien le vêtement ont leur place : colloques sur l’écriture, sur la trace et la correspondance, etc., ainsi que dans le théâtre de rue, là où prime la création visuelle.
Mes performances sont basées sur la nature de la robe, mais aussi sur la sensation du vécu de l’intérieur, du contact du papier sur la peau : le papier craque et frémit ; il est bruyant : je ferai avec le bruit !
Selon les espaces et les occasions qui me sont offerts, mes robes seront portées par d’autres personnes que moi.
Le papier se coupe, se compose, se colle, se mélange avec d’autres (papier calque), et s’assemble par la couture. Papier industriel et quelconque, une fois devenu robe, il est aussi précieux qu’un livre ou un document rare.
Mes créations : robes, chapeaux et accessoires sont, dès l’origine, toujours pensés pour être portés.
J’ai longtemps confectionné mes robes, seule, avant de connaître le Moulin à papier de Brousses, atelier de fabrication de papier chiffon artisanal fait à la main.
Mon amour du papier et ma curiosité d’artiste plasticienne me font explorer le monde de la fabrication de ces papiers-matières afin de créer mes robes.
Le papier du Moulin de Brousses produit à partir du chiffon de coton broyé et réduit en pâte est une vraie matière. Les textures graphiques n’ont plus besoin d’être imprimées, elles vont naître de la pâte à papier elle-même. Les feuilles peuvent être fines ou épaisses, fragiles ou solides, lisses ou granuleuses, régulières ou irrégulières, au gré du papetier. La pâte peut être colorée en fonction du tissu utilisé pour faire la pâte. On peut y ajouter des fragments de végétaux, de tissus, de carton etc. Chaque préparation est unique et quasiment impossible à reproduire exactement.
Avant de presser la feuille, on peut y déposer des dentelles et des tissus qui vont laisser leur empreinte en creux et en relief. Partiellement pressée, il est facile de la mettre en volume sur un support dont elle gardera la forme en séchant. Ainsi j’ai créé des drapés, des vagues, des moulages de murs, de rochers, de galets, des empreintes de plaques de plâtres gravées. Le papier mouillé est également un bon matériau pour absorber les traces de rouille.
La fabrication du papier est toute une aventure.
La résidence artistique : un moment privilégié de la création
La résidence est un projet artistique et culturel qui pose un mode relationnel différent de celui qui est offert par les stricts échanges commerciaux. Elle permet la valorisation de l’image du lieu ; la création de l’artiste devient un médiateur auprès de la population locale.
la résidence est le moyen de rendre présente la création plastique au plus près des populations, de les faire se sentir concernées dans la durée, de leur faire appréhender la démarche du créateur dans sa lenteur et son opiniâtreté.
La création artistique en résidence offre un lieu d’accueil avec un outil adapté à des transformations en profondeur qui voit dans l’art un mode d’innovation, un geste désintéressé, un apprentissage de l’autonomie.
Depuis 2004, le Moulin à papier de Brousses m’accorde chaque été durant deux à trois semaines un espace de travail avec les moyens techniques et financiers nécessaires à ma création.
Chaque résidence est unique
Chaque année, j’ai imaginé et confectionné quatre à six robes sur un thème différent. Le Moulin à papier de Brousses est le lieu idéal pour accueillir ma création. Celle-ci a d’ailleurs du mal à trouver sa place. Rejetée par le milieu des arts plastiques car considérée « du côté du vêtement », elle est rejetée par le milieu de la mode car considérée trop « sculptures ». Pour moi, ce sont bien des sculptures de papier destinées à la performance.
Au Moulin, je peux travailler la matière même de ma création. Par ailleurs, son site d’une beauté exceptionnelle est en soi un décor parfait pour la présentation.
Vêtements ?
J’appelle mes robes vêtements car ce ne sont pas des costumes : elles ne sont créées ni pour être « dansées » ou « jouées » au théâtre, ni pour aucun spectacle. Elles sont uniques, spéciales, exceptionnelles.
La population présente à la fabrication : on ne fait rien tout seul
Ce qui est absolument magique, c’est la participation enthousiaste et continue de précieuses petites mains nullement rebutées par ces idées étranges de coudre ou broder du papier, par les techniques laborieuses de découper, coller, tremper de la ficelle dans la pâte à papier, etc.
Sculptures de papier à porter et à montrer
Chaque année, étant donné que ma présence et ma création font figures d’évènement, des femmes de tous âges et de toutes corpulences viennent spontanément me proposer de porter mes robes. Je tiens à ces corps ordinaires qui disent mieux que les mannequins de mode la beauté vraie de la féminité. Ces femmes ont le désir profond de les porter ; elles acceptent de se laisser guider par les robes et sont heureuses de les montrer en public.
Les voir
Les robes de papier peuvent être admirées sans qu’il faille les protéger. Elles ont besoin d’un public. Elles doivent être vues de près pour apprécier la diversité et la complexité des textures, et de loin pour la beauté de la silhouette et la vue de l’ensemble du groupe.
Féerie du bal masqué, bustiers qui imposent un certain maintien, costumes hors du temps n’appartenant à aucune époque.
Il s’agit de porter quelque chose d’unique, de spécial, d’éphémère.
Du détournement : la mémoire du corps féminin
Mon travail est un détournement de la parure, des clichés de la séduction. Il exprime plutôt une idée d’identité. C’est un langage du corps qui parle de l’éphémère, de la fragilité, de la transparence, de la féminité, de la mémoire et de l’absence.